4/16/2016

CHRISTIAN DOTREMONT

 "Je m'aperçus aussi à Dunkerque que le pire, c'était d'avoir pris toutes ses dispositions contre le danger. C'est dans un abri de béton, un masque à gaz à portée de la main, que j'avais eu le plus peur. C'est-à-dire alors que le danger était réduit au minimum. Etait-ce parce que je m'étais aperçu que le danger ne pouvait pas être réduit à rien, qu'une part de danger était irréductible et que j'étais parmi cette part de danger justement, enfermé? Une mince marge de liberté nous cache tout, ainsi sommes-nous faits. La sacrifions-nous pour protéger notre vie même, nous voilà le nez sur la tache de mort. Je n'ai nulle part ailleurs qu'à Dunkerque trouvé d'indice aussi saisissant du prix que nous donnons à la liberté, disons à la liberté de mouvements. Nous préférons risquer de la perdre définitivement, la liberté, que la perdre provisoirement pour risquer moins de la perdre définitivement. Est-ce qu'ainsi finalement la liberté s'est acoquiné avec le risque ? Il y a des gens qui le disent, mais il ne sont pas très drôles."

Christian Dotremont: La pierre et l'oreiller

Gallimard 1980 (1955) pages 143-144




 

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